Le Secteur de l’assurance au Burkina Faso
« Notre objectif est de démystifier l’assurance », dixit Monique KAM
Dans cet entretien, Monique KAM, du haut de son expérience de plus de 20 ans dans le secteur de l’assurance et promotrice de la société de courtage d’assurances SAGER depuis 2018, décrypte l’univers des assurances au Burkina Faso. Elle aborde, entre autres, les relations entre les acteurs du secteur et les ressentiments des clients. Les actions à entreprendre pour développer l’assurance au Burkina Faso sont aussi passées en revue.
SIDWAYA (S.): Vous êtes courtier d’assurance. Dites-nous ce que c’est que le courtage en assurance ?
Monique KAM (M.K.) : Le courtage d’assurance est une activité d’intermédiation en assurance qui est instaurée et régie par le code de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (CIMA), l’organe de régulation du secteur des assurances regroupant 14 pays africains. Les courtiers d’assurance ne sont pas les sous-traitants des sociétés d’assurance car il n’y a pas de lien juridique entre eux. Dans l’intérêt des assurés, le régulateur organise et contrôle les activités de deux acteurs professionnels indépendants qui doivent intervenir ensemble auprès des assurés dans le secteur de l’assurance. Ces deux acteurs indépendants; la compagnie d’assurances et le Courtier d’assurance; sont soumis aux obligations édictées par le code CIMA. Selon le livre 5 du code CIMA, le courtier d’assurance assure trois (03) fonctions relatives à la distribution de l’assurance qui sont : le conseil de garanties adaptées au besoin de l’assuré, la mise en relation de l’assuré avec le meilleur assureur et l’accélération de la prise en charge du sinistre. C’est grâce au courtage d’assurance que l’assuré peut faire le meilleur choix. Sans le courtage, l’assuré découvre souvent les conditions de son assurance qu’après l’accident et lors de la réclamation de l’indemnité. Il est déçu quand il découvre la franchise, les exclusions, les plafonds, etc. après l’accident. En cas d’accident, le courtier s’occupe de toutes les formalités pour une prise en charge rapide du sinistre. La société de courtage SAGER entend contribuer à démystifier l’assurance. Elle œuvre pour que chaque client soit satisfait de son assurance.
S. : Expliquez-nous les relations entre les sociétés de courtage et les compagnies d’assurances et les assurés ?
M.K. : Le code CIMA a édicté clairement les relations entre les acteurs de l’assurance et les assurés. Le courtier met en relation l’assuré avec le meilleur assureur. Dans la relation normale, le courtier est le premier interlocuteur de l’assuré. Le code CIMA a attribué aux sociétés d’assurance trois (03) fonctions qui sont : le portage du risque, la production du contrat d’assurance et le règlement des sinistres. Le courtier d’assurance est indépendant et est spécialisé dans la distribution et la gestion des toutes les assurances des sociétés d’assurance. C’est pourquoi, les frais de courtage sont d’office intégrés aux primes d’assurance. Malheureusement, au Burkina, les relations entre les acteurs courtiers et assureurs connaissent des dysfonctionnements. La conséquence est que les assurés ne profitent pas des services du courtier qu’ils paient d’office pourtant. Ce dysfonctionnement provient du fait que les sociétés d’assurance distribuent directement les assurances. En plus, elles ont créé une pléthore d’agences et de sous-agences qui étouffent les courtiers. Cette confusion de rôles favorise la guerre commerciale et impacte négativement sur la qualité de la prestation d’assurance. Tout le monde est perdant dans l’état actuel du secteur de l’assurance au Burkina.
S.: Quels sont les avantages pour un client de passer par un courtier ?
M.K. : Il y a de nombreux avantages pour le client à solliciter les services d’un courtier avant de souscrire une police d’assurance. D’abord, le courtier met son expertise au service du client en l’informant et en lui conseillant une couverture d’assurance adaptée à son besoin. De plus, avec l’accompagnement du courtier, le client est sûr de faire un meilleur choix de contrat et d’assureur. A travers sa fonction de suivi du contrat, le courtier s’occupe de tous les ajustements nécessaires et du renouvellement. Un autre avantage pour le client, est la garantie d’une prise en charge rapide en cas de sinistre, car le courtier s’occupe de toutes les formalités pour accélérer la prise en charge. En fait, le courtier décharge son client du parcours habituel long et pénible semé de va-et-vient permanent, en accomplissant toutes les formalités pour accélérer la prise en charge. En résumé, le courtier offre au client la garantie d’être satisfait de son assurance.
S. : La COVID 19 a entrainé un ralentissement de l’activité économique et des manques à gagner important pour de nombreux acteurs. Le secteur de l’assurance a-t-il été impacté ?
Les recettes des acteurs ont baissé. Mais nous sommes résilients et continuons à intervenir rapidement auprès des assurés affectés par des sinistres garantis. Nous adressons nos encouragements aux familles éprouvées et au corps médical. Nous espérons une relance de l’ensemble de l’économie pour espérer remonter les chiffres.
SIDWAYA : Quel est le montant global des primes collectées par les acteurs du secteur de l’assurance au Burkina Faso en 2019 ?
Au Burkina Faso, le secteur de l’assurance compte quarante (40) courtiers d’assurance ; huit (08) sociétés d’assurances IARD (Incendie, Accident, Risques Divers) et sept (07) sociétés d’assurances VIE. Ces sociétés d’assurance sont représentées par plus de 150 agences et sous agences. Les primes et cotisations collectées par le marché en 2019 s’élèvent à 54.697.824.510 F CFA en IARD et 40.295.543.331 en Vie.
SIDWAYA : le taux de pénétration de l’assurance au Burkina Faso est faible, comment expliquez-vous cette situation?
La pénétration de l’assurance mesure la part des primes d’assurance dans le PIB (primes/PIB). Ce taux au Burkina a toujours été en dessous de 1%. Les acteurs de l’assurance sont avant tout les investisseurs institutionnels d’un Etat. L’assurance peine à se développer au Burkina Faso car l’Etat n’a pas encore pris conscience de l’importance des assurances dans le processus de développement économique et financier. L’opacité et le déficit d’organisation des acteurs de l’assurance au Burkina ne participent pas à mettre en confiance les assurés de sorte à les inciter à souscrire une assurance au-delà de celles obligatoires, en général l’automobile qui fait près de moitié de nos recettes IARD.La mauvaise réputation des sociétés d’assurance notamment en matière d’indemnisations ne militent pas aussi pour une vulgarisation de l’assurance.
SIDWAYA: Que faut-il faire pour développer l’assurance au Burkina Faso ?
Le code CIMA a dévolu à la profession d’assurance le rôle de protéger le citoyen et lui payer convenablement une prestation lors de la réalisation de certains événements heureux ou malheureux. Pour développer l’assurance au Burkina, les clients ont besoin de redécouvrir l’assurance. Le public doit être sensibilisé sur l’utilité de l’assurance. Car l’assurance est un excellent moyen de protection avec d’énormes possibilités. Le développement de l’assurance demande également une volonté des acteurs d’exercer la profession non dans nos intérêts égoïstes mais dans l’intérêt général qui est celui de protéger les victimes et bénéficiaires des contrats. Ils doivent de ce fait, opérer de grands changements. Les courtiers d’assurance doivent davantage se professionnaliser et s’organiser pour jouer pleinement leurs fonctions de distribution. Les courtiers doivent accélérer davantage les prises en charge. Un client satisfait appelle un autre. Quant aux sociétés d’assurances, acteurs principaux, elles doivent impérativement abandonner la guerre des prix et respecter les tarifs. Ensuite, elles doivent consolider leurs relations avec les courtiers qui sont des apporteurs de portefeuilles et de meilleurs gestionnaires de la relation clients. Les deux acteurs devraient lutter ensemble contre la corruption qui ruine le secteur par le bannissement des commissions servies à la pléthore d’apporteurs divers et des ristournes versées tous azimuts aux clients. Un des plus grands changements à opérer réside au niveau du processus d’indemnisation des sinistres. C’est vrai qu’il faut éliminer la fraude à l’assurance, mais il faut aussi relever certains plafonds d’indemnisation dérisoires et obsolètes aujourd’hui (frais de dépannage, frais d’immobilisation automobile, etc.). Beaucoup d’aspects du processus d’indemnisation ont été longtemps délégués et non maitrisés par les sociétés d’assurance (l’établissement du procès-verbal de constat d’accident, l’expertise Automobile, le marché de la réparation, le recours, etc.). Du reste, il existe des modèles d’organisation et d’indemnisation réussis en Afrique du Nord (Maroc, Tunisie). Cela signifie qu’avec de la volonté, il est possible de moderniser le secteur de l’assurance au Burkina Faso.
Entretien réalisé par Nadège YE